Le rythme : un enjeu pour les formats compacts
Le rythme est une composante incontournable dans l’organisation de l’information en presse magazine. Pourtant c’est, aujourd’hui encore, une notion quasi absente dans la plupart des rédactions de quotidiens.
C’est au milieu du 16e siècle que le terme rythme a intégré la langue française. Initialement, cette transposition du vocable grec rhuthmos visait à différencier la poésie, et ses temps forts distribués régulièrement, de la prose. Ce n’est que deux siècles plus tard que le rythme a investit l’écriture musicale, puis d’autres domaines par extension. Que le mot rythme soit utilisé pour caractériser un support écrit, sa structure, ses différences d’intensité, est donc tout à fait légitime… même si aujourd’hui, dans la presse, le rythme évoquera plutôt le rythme de la saisie, le rythme des relectures, le rythme de rotatives. Un rythme qui s’accélère toujours jusqu’à l’heure bouclage.
Ce rythme qui paraît envahir le monde de la presse est plus que jamais présent dans notre vie de lecteur. Il devient même une composante essentielle dans nos choix de lectures. Télévision, radio, e-mail, téléphonie mobile, presse gratuite. L’information est partout et la surcharge d’information est le symptôme de nos excès.
La réduction du format des quotidiens conduit-elle à une réduction de l’information ?
Dans notre société, les rapports hiérarchiques ont toujours été des rapports verticaux.
Dans le journal, la hiérarchisation de l’information se construit aussi principalement de façon verticale.
Aujourd’hui avec la réduction constante des formats de lecture (en surface de papier mais aussi en surface d’écran avec le wap et l’i-mode) la hiérarchisation de l’information doit se construire de plus en plus horizontalement, c’est-à-dire de moins en moins dans l’espace et de plus en plus dans le temps.
Dans un format compact, l’information ne s’organise plus seulement dans la page, mais de plus en plus dans la double page et dans toute la longueur du déroulé.
Pour un même volume d’information publié, on est mathématiquement conduit à tourner deux fois plus de pages dans un tabloïd de 64 pages que dans un grand format de 32 pages.
La composante rythmique de l’acte de lecture – par le feuilletage – prend donc plus d’importance en petit format. Le rapport physique du lecteur avec l’objet lui-même devient plus fréquent.
Le rythme de l’évolution conduit aujourd’hui l’homme moderne à évoluer vers le format compact
Le lecteur passe ainsi d’une relation distante à une relation de proximité. On constate que l’on a tendance à poser le grand format sur la table pour lire plus facilement. Le contact physique n’est pas consommé avec la même fréquence ni la même intensité qu’à travers le petit format. Le format compact fait entrer le lecteur dans une relation plus intime que le grand format. Comme avec les nouveaux objets technologiques, téléphone portable, assistant personnel, l’utilisateur entre dans un rapport presque charnel avec son journal.
De ce nouveau rapport entretenu entre le lecteur et son journal découle tout naturellement la nécessité de conserver cette relation dans la durée.
C’est bien le but et l’ambition de l’approche rythmique du journal.
La métrologie du rythme : une représentation graphique du déroulé
Le rythme du journal se mesure-t-il ? Ce qui est un simple sentiment a-t-il une réalité mesurable ?
Puisque toute métrologie doit s’appuyer sur une unité de mesure, quelle serait l’unité de mesure du rythme dans la presse ?
Chez Rampazzo, nous nous sommes toujours attaché à relier notre métier à une certaine rigueur technique. C’est important dans un domaine ou 90% de la production repose sur la créativité des équipes. Créativité qui, par définition, n’est ni normalisable, ni prévisible.
Proposer une grille de lecture du rythme du journal revient à donner une certaine rationalité scientifique à notre perception d’un nouveau projet.
Avant chaque réorganisation de chemin de fer d’un périodique, nous dressons un graphe éditorial.
Dans cette représentation graphique du déroulé, notre unité de mesure du rythme c’est le texte courant.
Tout élément présent dans la page est donc rapporté à son équivalence en signes de texte courant. La photo, la titraille, les surfaces publicitaires, sont rapportées, dans notre grille, à leur équivalence en nombre de signes. On en déduit la longueur des barres. Les surfaces de chaque élément sont mesurées par double-page. Chaque colonne sur le graphique représente une double page.
Le graphe éditorial permet une représentation graphique du déroulé. Ici réalisé avant la refonte du journal
La longueur des barres est proportionnelle à la surface occupée par les éléments représentés : texte (en gris), photos, titres, surfaces publicitaires. L’absence de variation cyclique, régulière et marquée, dans la hauteur des barres colorées met en évidence le manque de rythme du déroulé.
Graphe éditorial d’un numéro du magazine Challenges conçu par Rampazzo & Associés (Cliquez l’image pour l’agrandir)
Dans le graphe ci-dessus on a choisi de représenter à l’horizontale les barres de texte courant pour visualiser le temps de lecture. Dans cet exemple, le rythme éditorial est réglé en tenant compte l’importance des surfaces publicitaires (en cyan).
Plus le déroulé est long, plus on attachera de l’importance au sommaire. Les plus gros défauts d’organisation des journaux que nous sommes amenés à réorganiser sont visibles, la plupart du temps, à travers leur sommaire.
Au-delà du travail du rythme dans la page, puis dans la double page, il faut que ce rythme de page, ou de double-page, s’insère dans un rythme global où l’intérêt du lecteur doit-être relancé à intervalles réguliers. Le témoignage des lecteurs du Télégramme de Brest qui demandent des papiers plus longs démontre la nécessité du rythme et de l’alternance des formats d’articles dans la presse.
Respiration, mouvement, temps, récurrence, écriture : les corrélats du rythme
Ces mises en scène graphiques du déroulé permettent surtout de prendre du recul face aux contenus du journal. Et de percevoir ce que le chemin de fer ne met pas toujours en évidence. Le graphe éditorial nous permet d’aborder, avec les éditeurs et les rédactions, des notions fondamentales rattachées au rythme et souvent oubliées.
Car concevoir son journal en intégrant le rythme c’est aborder la perception temporelle du journal.
Le tempo, le cycle de vie, la périodicité, la régularité des rendez-vous, la récurrence des rubriques, l’alternance des genres rédactionnels…
Organiser son journal en intégrant le rythme c’est aussi aborder la perception spatiale :
Le rythme c’est l’alternance du blanc et du noir, c’est l’alternance de la couleur. Le rythme c’est la structure, la grille, l’organisation du mouvement dans l’espace. C’est l’équilibre entre le texte et l’image, entre le rédactionnel et la publicité.
Maîtriser l’orchestration de la chaîne rédactionnelle et graphique est aussi affaire de rythme. Le rythme c’est la règle, le style, l’écriture, la respiration, l’éditing. C’est le découpage didactique du sujet traité en plusieurs articles de formats plus courts.
Sans rythme pas de respiration possible dans le journal. Sans rythme pas de pulsation cardiaque, pas d’émotion.
L’orchestration du rythme dans le journal : rock ou tango ?
Qui dit rythme dit évidemment musique. Pour nous, la mise en musique du déroulé s’organise comme une partition musicale.
Les règles d’harmonie nous permettent de poser les accords.
C’est l’organisation verticale de la musique. On accorde les sons. C’est la mise en page verticale de l’information dans l’espace de la page.
La grille modulaire dans le journal permet de fixer les règles d’harmonie du rythme en presse magazine et quotidienne
La ligne mélodique dans la partition
Composer les sons dans la durée, sur l’horizontalité de la portée musicale, c’est la mélodie. Avec la mélodie, on raconte une histoire. Ce sont les contenus du journal.
La partition, dans son ensemble, organise, dans l’espace et le temps, l’harmonie et la mélodie.
Comme la partition en musique, le chemin de fer organise le journal dans l’espace et le temps
Espace et temps que, depuis l’Antiquité, l’on pensait être deux milieux distincts, se sont révélé être, avec la théorie de la relativité d’Albert Einstein, un seul et même milieu : l’espace-temps. L’Univers et nous-même évoluons dans ce milieu indissociable à quatre dimensions. Et avec nous le lecteur n’échappe pas aux lois de la physique.
A la suite d’Albert Einstein nous pouvons inventer enfin la théorie de la relativité de l’information. Postulons que les contenus existent et s’organisent par la forme comme le temps existe et s’organise par l’espace. Et qu’ils sont indissociables l’un de l’autre.
Pour organiser le rythme par la forme des contenus nous devons mettre en place les repères et les balises de navigation dans l’information.
Pour poursuivre l’analogie de la maquette avec la musique et l’orchestration, nous pouvons distinguer les instruments mélodiques et les instruments rythmiques.
Les instruments mélodiques sont ceux que l’on connaît bien dans la rédaction, ce sont ceux qui racontent une histoire. C’est l’article, l’encadré, le titre, le surtitre…. En général la mélodie est l’objet de toutes les attentions.
En revanche les instruments rythmiques sont souvent négligés. Pourtant les outils visuels sont perçus en premier par l’œil dans la navigation. Les têtières, les cabochons de rubrique, les photos, les cartes, mais aussi le blanc, qui donne la respiration, sont les instruments rythmiques du journal.
Notre grand principe pour le journal : un soliste dans chaque page. Que ce soit le titre, la photo, ou l’article lui-même, chaque page doit toujours mettre en avant son soliste, son leader.
Le journal doit-il jouer une partition de Rock & Roll, de Salsa ou de classique ? Le rôle des bons designers d’information se résume en somme à trouver la bonne grille rythmique et les bons solistes.
Le rythme au-delà du déroulé
Le rythme au-delà du déroulé ce sont des rendez-vous réguliers avec le lecteur. Mais également une régularité dans la qualité des enquêtes et dans le travail d’investigation.
C’est aussi la capacité d’étonner le lecteur. Donc de créer des ruptures en innovant tout aussi régulièrement. Suivons en cela la recommandation de Peter Rothenbüler du Matin qui propose à sa rédaction de créer une nouvelle rubrique tous les trois mois, et de remettre en question la maquette tous les deux ans.
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- Nata Rampazzo et Luc Legay
Intervention faite à Paris-Bercy le 18 novembre 2004 dans le cadre de la conférence sur l’évolution du format en presse quotidienne organisée par l’Ifra, l’ESJ-média et la SND.