1 – La bio-information : une révolution économique
L‘invention de l’agriculture, de la ville, de l’état, de la monnaie, de la science expérimentale, des moyens de transport modernes, etc. Les écritures idéographiques, l’alphabet, l’imprimerie et les médias électroniques ont joué un rôle important dans cette évolution culturelle vers une intelligence collective plus efficace. Dans ces derniers cas, il s’agit d’une augmentation de la puissance du langage. Il est clair qu’une bibliothèque ou un fichier manuel partagé est déjà un dispositif de mutualisation du savoir. Pierre Levy
Une ère nouvelle s’est ouverte à nous, celle du travail immatériel. Sans précédent dans l’histoire, la révolution digitale a enclenché un processus de dimension planétaire : grâce à l’extension des réseaux numériques, elle uniformise non seulement les modes de production mais aussi ceux de consommation. Ce changement, s’il vascularise totalement nos sociétés humaines, pourra être qualifié de révolution anthropologique.
Au début de ce XXIe siècle, définitivement post-fordiste, force est de constater que le travail a radicalement évolué. La production de masse classique n’est plus au cœur de l’investissement. Aujourd’hui, investir signifie acquérir de la matière grise et créer de nouveaux concepts et non plus seulement des machines. D’où une constante accélération des cycles de l’innovation technologique, dont Google est le plus frappant exemple.
Les technologies de l’information et de la communication qui se développent autour d’Internet ne sont pas des épiphénomènes de la structure technologique contemporaine. Internet est en passe de devenir le centre stratégique du développement économique mondial car penser et travailler en réseau transforme en profondeur les processus de production. La web-économie, brassage de flux mutualisant les savoirs, a contribué à la propagation d’une nouvelle arborescence des langages, des cultures et des pouvoirs.
Paradoxe ? Les médias numériques ont crû et évolué sous l’impulsion d’une intelligence venant de la base. Ce sont les utilisateurs d’ordinateurs qui ont créé ces outils originaux de communication, finalement multilingues, qui nous permettent d’échanger tant informations à travers la planète.
À travers Internet, tout individu peut exprimer son opinion, décrire le monde tel qu’il le voit pour laisser ensuite aux autres internautes le soin de décider de l’avenir de ce monde. Ces innovations libératrices n’émanent pas de stratégies économiques ou industrielles. Mais indéniablement elles les servent, car si Internet a projeté sur le réseau des individus qui souhaitaient rapidement et à moindre coût se faire connaître du monde entier, les entreprises peuvent également y présenter leur activité, chercher de nouveaux clients, recruter de nouvelles compétences. Aucun autre moyen de communication n’offre ce niveau d’interactions : combinant images, textes et sons, cet outil de travail unique ouvre la possibilité de créer et de modifier en continu n’importe quel élément spécifique d’un projet en fonction d’une demande reçue.
Aussi cette liberté qui nous est offerte est assortie d’une règle d’or : plus forte est l’organisation, plus grande sera sa visibilité. La plupart de ceux qui, avec de petits moyens, viennent défier sur la Toile les géants de la communication pourront en témoigner. Cela ne signifie pas nécessairement la puissance financière. Mais sur une Toile si élargie, si démesurée, les entreprises auront constamment besoin de nouveaux systèmes (et de nouvelles idées !) pour demeurer visibles, pour ne pas être de simples gouttes diluées dans l’océan.
2 – Organiser l’intelligence collective (La cellule et le noyau)
Le projet de l’intelligence collective implique une technologie, une économie, une politique et une éthique. Pierre Lévy
Le travail dans le cyber-espace est encore un monde nouveau, en évolution permanente. Et il en va de même pour les formes d’organisation qui s’y rattachent. Si ses salariés sont à ce titre de véritables « savants-pionniers », expérimentant chaque jour, au prix de nombreux sacrifices, de nouvelles expériences et outils de mutualisation des savoirs, le Web représente globalement un instrument stratégique pour l’entreprise. Intégrer totalement ses principes et investir dans ses options stratégiques constitue une double opportunité : activer avec profit de coûteuses ressources immobilisées et éviter de commettre l’erreur, fatale aujourd’hui, de ne rien investir du tout. L’information ordonnée en réseau ouvre de nouvelles perspectives au management (moins de verticalité et donc moins de hiérarchie) et aux modes de production, servis par l’intelligence collective.
Le travail en réseau est fondé sur l’échange des savoirs mais aussi sur leurs implications directes, imprégnées de la vision globale du «produit». Les réseaux nous permettent ainsi, non seulement d’administrer, de façon globale et extensive, différents médias (vidéo, sites, journaux, suppléments, téléphonie…), mais aussi de reformuler l’agencement des compétences et leur répartition dans ces mêmes médias. L’intelligence collective a un sens technique spécifique, c’est une forme vivante pleinement interactive, qui se reproduit et évolue au sein de la société moderne. C’est un véritable bio-système.
Actuellement, le travail tertiaire atteint une certaine phase de maturité, parce qu’il intègre les techniques de communication en réseaux aux formes classiques de production. Dans les chaînes classiques de production éditoriale, la capacité créative du travailleur a été suffoquée par la lourdeur des processus… le MM (« mix-média »), à travers la polarisation des intelligences, peut permettre de retrouver un nouvel élan et une manière efficace de produire… Dans la plateforme virtuelle, chaque rédacteur en chef, journaliste, secrétaire de rédaction, design ou graphic editor, web-master, marketer, chaque producteur d’image ou de mot peut visualiser et simultanément piloter la fabrication des objets de communication… En tant que managers, les éditeurs doivent comprendre que chaque travailleur « mix-média » (MM) n’est pas un simple pion isolé dans le magma d’un processus de production, mais une véritable source de savoir-faire. Ce que les techniques de communication en réseau développent actuellement nécessite un accompagnement pédagogique et méthodologique, un vrai changement culturel affectant tant la gestion des ressources humaines que le projet d’entreprise.
L’enjeu n’est pas anodin.
3 – Nouveaux médias, nouveaux langages
Le prix à payer pour ce gain d’intelligibilité sera l’apprentissage de la « langue de l’intelligence collective», qui traduira les données textuelles, numériques, statistiques et transactionnelles en symboles visuels synthétiques, en relation dans un espace tri-dimensionnel. Pierre Levy
Ces technologies de l’intelligence, l’ingénierie de la connaissance, les arbres (lemmes) de compétences techniques d’un travail au service des médias en réseau, génèrent une nouvelle écriture, une nouvelles syntaxe et un nouveau langage dynamique.
La manipulation simultanée et directe d’objets visuels et sonores reproduits sous forme numérique, le flux de signes, l’hypertexte et moteurs de recherche, les simulations graphiques visuelles et dynamiques, les interconnexions d’archives et fonds documentaires, les blogs, les images fixes ou animées… représentent un pas en avant vers la création d’une collectivité virtuelle … et de produits éditoriaux innovants.
Quelle que soient leur périodicité de parution, les medias imprimés ne permettent pas une mise en communication interactive globale, et s’inscrivent dans un rapport « un-pour-un ». Ils utilisent l’ensemble du réseau uniquement comme support de transmission temporel, sans dimension spatiale et sans aucun rapport avec le récepteur et/ou l’émetteur. Bien plus que les supports audiovisuels analogiques (télévision ou téléphone notamment), le Web a modifié le statut de l’information, devenue interactive, modulable et captable en n’importe quel point du réseau global.
Ce mix-média-market, faisant appel à l’intelligence collective, installe un dispositif spatio-temporel apte à créer une relation de véritable proximité «tous-pour-tous». Chacun peut être tour à tour récepteur ou émetteur. Cette dynamique, ce rapport interactif avec les internautes crée une communauté d’affinités culturelles, soutient le désir d’accéder à l’intérêt commun.
Le journaliste moderne est un nomade « multilingue », connecté sur des flux d’information démultipliés. Il travaille équipé d’une oreillette et d’un micro reliés à son téléphone cellulaire, d’une caméra ou d’un boîtier photo, devant un ordinateur portable et son clavier a remplacé la plume traditionnelle. Sa grammaire est faite de signes numériques, et il utilise les technologies communicantes comme, jadis, il utilisait des carnets. Dans son espace de travail multimédia, le techno-reporter est au contact d’une information capillaire simultanée. Ses archives, immenses, sont dispersées sur la totalité du réseau.
L’expression première du journalisme reste le texte, en accord avec la responsabilité, après la vérification des sources, éthique spécifique au travail d’intérêt commun. Hier, le journaliste était le médiateur de l’événement, l’ordonnateur de l’information et son journal le lien social légitime de son territoire. Aujourd’hui la web-information atteint directement le citoyen alors que cette information est difficilement vérifiable. Le travail du techno-reporter, ouvert aux nouveaux horizons du réseau local-global, ne doit pas oublier son rôle de médiation, de lien prescripteur. Le journaliste doit apporter sécurité, informer sans trop imposer ou hiérarchiser, dompter les nouveaux langages pour mieux se faire comprendre et rester en phase avec l’écriture généralement simple de tout un chacun. N’oublions pas qu’avec le développement des technologies de communication, le citoyen lambda est passé, en l’espace de deux générations, de l’analphabétisme à la télé-dépendance, et de la télé-dépendance au vertige du Web. Dans ce gigantesque champ de connaissance, impliquant des besoins informatifs par son étendue et sa précision, les citoyens souhaitent toujours plus de renseignements, d’analyses… autant de données utiles à la compréhension d’un monde en mutation rapide, autant de services accessibles par le web, autant d’opportunités d’élargir et d’enrichir l’échange avec le lecteur.
Des plate-formes éditoriales performantes, si elles sont capables d’agencer efficacement des produits « mix-media », si elles maîtrisent ce langage pour l’éditer indifféremment sur des support papier ou numériques (du web au cell-phone), assureront plus d’un avantage concurrentiel à leur client.
Par l’organisation du travail, nous l’avons vu. Par le produit également, car le web et ses flux constituent un formidable outil d’aide à la décision pour l’éditeur cherchant à développer de nouveaux produits dérivés, à innover par des formules, des suppléments, des hors-série… toutes sortes de produits à contenus « mix-média ».
Sur la cible, enfin, en élargissant et approfondissant le spectre de la proximité. Chaque publication est en effet unique, possède un style, un design, une ligne éditoriale, des signatures qui la caractérisent et suscite l’adhésion – et l’acte d’achat ou de lecture – du consommateur. Il est crucial de ne pas perdre de vue cette valeur du ton et de la marque dans le cyber-espace, environnement aussi nouveau que changeant. Par chance, le travail en réseau virtuel est un processus qui favorise une proximité, nouvelle et authentique, adaptée à la pratique de marketing éditorial. Non seulement le réseau vous permet de produire des analyses rapides, des études de marché élargies ou ciblées, mais il valorise vos projets ou productions, peut enrichir simultanément et en temps réel les contenus web et print grâce à une connaissance plus affûtée des attentes du lectorat… L’information est produite différemment, elle est également différente, et sa valeur ajoutée supérieure.
Si le développement de produits dérivés (hors-séries, livres, CD, DVD) accompagnant les supports distribués en kiosque avait ouvert la voie à un nouveau contrat de lecture (une voie que la France a d’ailleurs empruntée bien après ses voisins italiens, espagnols ou britanniques), la demande va désormais bien au-delà du « plus-produit ». Or nombre d’éditeurs et de journalistes n’ont pas entrepris, ou avec un certain retard, la reconfiguration structurelle suivant le schéma de l’intelligence collective, dans lequel l’individu est intégré à la production, livrant son savoir et pouvant accéder à celui de tous les autres.
Certaines institutions, à l’exemple du Daily Telegraph, d’El Pais (qui produit un journal « auto-actualisé » et imprimable en pdf), ou de La Reppubblica, ont en revanche entrepris cette révolution et repensé leurs flux de production pour les adapter à la variété et aux rythmes des flux modernes d’information. Ce faisant, ils se sont de facto engagés dans une nouvelle écriture, en phase avec les attentes des lecteurs de la digital generation (18/40 ans), qui surfent, tchattent, bloguent en ligne, interpellent journalistes ou décideurs d’un clic.
L’information issue d’une plateforme « mix-médias » sera naturellement imprégnée de cette culture de l’interactivité, de l’immédiateté, de l’alliance du local et du global. Cette nouvelle écriture « mix-média » organisée autour d’une plate-forme Web (réceptacle de données textes, images, sons constamment renouvelées), peut non seulement constituer un média à part entière, mais également une bibliothèque de contenus pouvant facilement générer d’autres produits, « print » ou numériques, répondant à la diversification des attentes du (des) lectorat (s).
Les nouveaux outils, les possibilités d’interconnexion sont disponibles, il suffit de les mettre au service d’ambitions renouvelées, plus offensives, plus créatrices.
Une sorte de renaissance de l’écriture.
Nata Rampazzo, 2006