La presse-papier quotidienne est malade, gravement malade. Des médecins des grands groupes de médias, des spécialistes des organisations professionnelles, des infirmiers des syndicats des journalistes déclarent sans faute que l’état de santé de la presse papier est précaire et en inquiétante dégradation. Cependant, ce discours, qui se balade aisément entre évidences, larmes forcées et résolutions sans portée ne propose que très rarement des solutions sans délai et qui prennent en compte les principaux problèmes de la presse.
Les gros titres s’enchaînent et demandent successivement : « Va-t-on vers la fin de la presse papier ? », « La fin du papier ? » « Vers la fin du papier, quoi faire ? »… Tout le monde dit que c’est la faute d’Internet, ce nouveau média florissant qui paraît indétrônable. D’autres disent, qu’en plus d’Internet, les grands quotidiens nationaux français sont menacés par la percée foudroyante de la presse gratuite. Et il faut dire qu’ils ont raison. Les chiffres sont là pour le prouver. En 2008 les ventes de la PQN ont chuté de 3% par rapport à l’année précédente et les gens (surtout le lectorat jeune) s’informent de plus en plus sur Internent.
Un constat donc : les journaux imprimés se vendent moins qu’avant. En Europe et aux Etats Unis, en tout cas. Par contre, en Afrique, en Amérique Latine et en Asie, d’après les données de la WAN (World Association of Newspapers) la tendance paraît être plutôt inversée. En effet, dans 100 des 182 pays (où la WAN possède des données fiables), la circulation de journaux papier à augmenté de 9% en 5 ans. De même, globalement 1.9 milliards de personnes lisent un journal au quotidien, soit 34% de la population, tandis que 24% seulement utilisent l’Internet.
Ainsi, nous avons des cas extraordinaires quant aux ventes de quotidiens papier, comme celui de l’Inde où 107 millions de journaux sont vendus par jour. Nous pouvons dire que le cas de l’Inde (comme celui de la Chine, d’ailleurs, qui se situe juste derrière en vente de journaux) est tout à fait exceptionnel. Que ce sont les publications non-anglophones qui vendent le plus, ou qu’une grande partie de la population n’a pas accès à l’Internet et que ces chiffres faramineux ne peuvent pas être comparables avec ceux de l’Europe. Mais d’autres pays, avec des comportements sociétaux hyper numérisés, comme le Japon, par exemple ou la Norvège, vendent aussi beaucoup de journaux papier (612 ventes pour 1000 adultes au Japon, et 576 pour 1000 en Norvège).
Or, il est certain que la presse papier du XXI siècle devra s’adapter au nouveau siècle et à ses nouvelles technologies.
Depuis 10 ans, la quasi-totalité des journaux se sont dotés de sites Internet pour attirer (ou conserver) des lecteurs. Le raisonnement de base était de croire que le nouveau business numérisé compenserait les pertes du journal traditionnel. Le paradoxe est que les versions on-line des journaux sont généralement consultés par des millions des lecteurs mais ce sont des lecteurs qui n’apportent que très peu de revenus au journal. D’une part, la plupart de sites d’information sur Internet sont gratuits (ou, en tout cas, on peut facilement trouver l’information qu’on veut gratuitement) et, de l’autre part, la plupart de revenus publicitaires du Web sont récupérés par les moteurs de recherche (avec Google aisément en tête) et non pas par les journaux.
Par rapport à cela il faut souligner le fait que la presse écrite ne repose pas sur un mais sur trois modèles économiques, souvent reliés entre eux par le support papier (info, publicité et services). Ainsi, le lecteur, qui s’intéresse au contenu, à l’information du journal, et les annonceurs à la publicité, qui peut intéresser le lecteur. De plus, avec l’importance quotidienne qu’a Internet aujourd’hui seulement l’innovation dans le papier ET sur le Web permettront aux éditeurs de survivre : la transposition à l’identique du papier vers le Web ne fonctionne pas. Les versions Internet des quotidiens papier doivent servir non seulement comme complément des informations mais aussi comme une extension des mêmes. Les qualités interactives du Web (multimédia, vidéo, photo…) doivent être utilisées pleinement en pensant directement au lecteur Internet et pas seulement au lecteur papier. Le papier, quant à lui, doit garder sa condition de valeur ajoutée, d’objet qu’on veut avoir entre nos mains.
Parce qu’il est très possible que le papier restera au cœur de la presse pendant longtemps. À chaque fois qu’un nouveau média arrive, on prédit la mort du précédent. Mais, ni la radio à éliminé le papier, ni la télévision la radio, ni le cinéma la télévision. Par contre, et nous pouvons penser le même par rapport à la percée fulgurante de l’Internet, ce qui est toujours arrivé est que le nouveau média oblige à l’ancien à mieux se définir, à abandonner ses caractéristiques et ses fonctions moins significatives.
Par rapport à cela nous devons nous demander : qu’est ce que le lecteur veut d’un journal papier du XXI siècle ?
Il n’est pas dupe de penser que dans un moment où les médias sont saturés par un excès d’information mal organisée (plus ou, surtout, moins relevant) les lecteurs veulent des critères de sélection conséquents. Ce qui doit être traité dans les versions papier doit être analysé en détail, même si cela veut dire qu’il y aura moins d’histoires traitées. Ce qui doit apparaître dans les Unes doit être relevant et traité sans complaisance.
En ce sens, ce qu’offre le papier doit être d’une qualité « premium » tandis que tout ce qui relève plus des mass média pourra être traité on-line ou par mobile. De cette façon, le journal deviendra un modèle hybride –offrant une information de qualité adaptée sur tous les fronts-, avec un business plan aussi hybride, qui cherchera des revenus auprès d’une audience plus large mais avec des intérêts particuliers.
Or, ce qui peut changer éventuellement pour les quotidiens papier est justement la fréquence de publication quotidienne. Il est possible que la diffusion des journaux baisse et que pour contrecarrer ce phénomène, en devenant plus pertinents, quelques journaux optent pour changer leur temps de parution. Cependant, il faudrait ajouter que si ce possible changement est une option valable, le seul vrai recours face au déclin du papier est bien dans la pertinence de ses contenus, tant sur le fond que sur la forme (et voir aussi, sur la diversification).
Et la crise ? Certes, on ne peut pas nier que les récentes transformations ont bouleversé le monde du journalisme. Mais parce que des crises il y en a tout le temps, il est utile de se souvenir des mots du réalisateur Nanni Moretti par rapport à la crise du cinéma, ce qui peut nous éclairer un minimum sur le futur d’un journalisme que tout le monde voit aujourd’hui en chute libre :
« Moi je suis né dans la crise du cinéma. Et je ne m’en suis jamais soucié, parce que mon rapport au cinéma n’était pas en crise. Quand on parlait de crise, je tournais mes premiers films. Quand on dénigrait le cinéma italien et qu’on vantait les films internationaux, je réalisais des films italiens. Quand les salles fermaient, j’en ai ouvert une. Au lieu de participer à des colloques plaintifs, j’ai produit des films. Pendant ce temps, ces réalisateurs qui parlaient de crise du cinéma avaient sûrement raison, puisqu’ils n’avaient plus envie de faire des films, de les écrire, de les tourner, de les produire. »
En d’autres mots, le papier, et les possibilités que celui-ci offre pour faire du journalisme de qualité sont encore là. L’innovation, le sens critique et la volonté sont toujours ses meilleurs alliés.
Nicolás Rodríguez Galvis pour Rampazzo et Associés