Avec cette crise sanitaire, nous sommes en train de découvrir une pratique qui existe depuis longtemps dans le secteur de la presse et de l’édition grâce au développement du numérique : le cybertravail. Depuis plusieurs années déjà, Rampazzo & Associés travaille de cette façon avec certains de ses clients pour faire des hors-séries, des mensuels, des hebdos, voire des pages de quotidiens, en Suisse, en Belgique, et en France. Il existe en effet des dispositifs éditoriaux à distance qui permettent aux éditeurs/éditrices de suivre en temps réel l’évolution et l’avancée de leurs publications. Les différentes étapes de la chaîne éditoriale – rédaction en chef, direction artistique, rédaction, maquette, iconographie, infographie, secrétariat de rédaction, correction – se déroulent ainsi à distance, et en temps réel, sous le contrôle de l’éditeur·rice. D’ailleurs, cette pratique existe aussi dans la production technique de sites Internet (design, codes…) et la numérisation des contenus (archives…).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette évolution dans l’organisation du travail n’a pas altéré la qualité rédactionnelle, tant du point de vue de la forme que des contenus. Elle a même contribué à rendre plus fluide et moins hiérarchisée, et donc plus efficace, la chaîne éditoriale. Avec le développement massif du télétravail, en vigueur dans de nombreux médias depuis presque un an, cette évolution est en train de se produire au sein même des groupes de presse. Avec des conséquences.
Pour beaucoup, le travail s’est certes intensifié, notamment pour les journalistes, les graphistes, les secrétaires de rédaction, et bien sûr aussi les rédacteur·trice·s en chef. Mais pas pour tous. Car le secteur fonctionne souvent avec une armée d’échelons hiérarchiques avec des « petits chefs » : pour faire un quotidien et un supplément hebdomadaire, il n’est pas rare d’avoir un·e directeur·rice de la création et plusieurs directeur·rices artistiques sans compter les adjoint·e·s. Côté rédaction, c’est souvent la même chose : les rédacteur·rice·s en chef sont souvent épaulé·e·s par plusieurs adjoint·e·s, dont le travail se limite, pour l’essentiel, à organiser des réunions et à donner leur avis (il y a aussi souvent la relecture des papiers, mais elle se fait parfois très vite !). Entre deux réunions et deux relectures de copies, ils·elles ne réfléchissent pas à l’amélioration des contenus, ils·elles se contentent de contrôler le travail des autres… Résultat, au lieu d’être dehors à chasser les infos, les journalistes se retrouvent bien souvent au four et au moulin, surchargé·es de travail. Si les adjoint·e·s avaient davantage les mains dans le cambouis, la qualité rédactionnelle s’en trouverait probablement améliorée. De même, on voit des directeur·rice·s de création qui, au lieu de réfléchir à de nouveaux produits et à stimuler la créativité d’une rédaction, afin de surprendre le lecteur au fil de la lecture, se contentent de regarder les chemins de fer passer. Ce sont finalement de simples gardien·ne·s de la charte graphique, en aucun cas des créatifs qui justifient un tel titre (et un tel salaire). Et ce n’est pas mieux dans les services transversaux (marketing, publicité…).
Pour justifier leur salaire en cette période de télétravail, ces échelons intermédiaires doivent donc, plus que jamais, organiser des réunions pour rappeler qu’ils sont là. Le système est d’autant plus absurde que les journaux manquent aujourd’hui cruellement de créativité et d’idées pour se développer et attirer de nouveaux lecteurs. Pour cela, il faudrait développer d’autres métiers sur le papier et surtout sur le net (nouvelles narrations, infographies narratives, data journalisme, vidéos…). Le virage est d’autant plus urgent que le secteur de la presse est en train de basculer vers le (presque) tout numérique avec la Covid-19.
Nata Rampazzo