Comment optimiser le temps de lecture ?

Nata Rampazzo avait, en 2004, effectué une intervention aux Journées Jean-François de Salles organisées autour du thème « La lecture et le temps ». Voici quelques extraits de cette allocution, dont le contenu éclairera sur l’approche de l’agence dans le design de presse.
La contrainte du temps… un impératif dès la mise en place
• Les statistiques l’énoncent clairement : chacun consacre un temps limité à la lecture, et celle d’un journal est plus minutée, plus codifiée encore (24 minutes en moyenne pour un quotidien régional, 31 minutes pour un quotidien national, 49 minutes pour la presse spécialisée (médical, juridique, économie).
• Influencée par la concurrence des différents médias, notamment la fulgurante progression de l’usage d’Internet, cette pression temporelle conduit à une exigence d’efficacité.
Le Monde publie chaque jour, hors suppléments, environ 130 informations (sujets), allant de quelques lignes à la pleine page. Un lecteur ne peut absorber la totalité des contenus, équivalant en volume à un livre de poche.
• Notons que la contrainte du temps se manifeste dès l’achat : un kiosque peut compter jusqu’à 3 000 titres : il devient indispensable d’accrocher le regard, de se différencier, de se reconnaître vite, d’annoncer et de valoriser rapidement les contenus de “une”.
Gagner du temps par un contrat de lecture
• Faciliter la navigation pour que le lecteur trouve l’information qu’il souhaite dans un temps donné, et soit ainsi conforté dans sa volonté d’achat. Il faut éviter une frustration forte (pourquoi ai-je dépensé autant si je ne peux pas tout lire ?) par une navigation efficace qui apporte l’information “ de proximité ” cherchée par le lecteur.
• Obligé de faire un tri, le lecteur attend qu’on l’assiste dans cette tâche, en lui donnant des clés ciblant le type d’information, l’univers qui l’attire. Ces clés de tri sont notamment la hiérarchie mais aussi les modes de traitements.
• Cette prise en charge du lecteur est exemplaire dans la presse des gratuits : hiérarchie et repérages maximums, textes courts, outils rédactionnels multiples… qui optimisent sur chaque page l’organisation de l’espace et du temps.
• Cette organisation fonde un véritable contrat de lecture dans lequel les habitudes de repérage visuel du lecteur seront respectées. Stabiliser ces habitudes est un enjeu fort. C’est tout l’objet d’une charte rédactionnelle et graphique.
Comprendre et satisfaire les modes de lecture
Le design de presse, discipline à la jonction du journalisme et des arts graphiques, doit intégrer les réflexes du lecteur et, en premier lieu, les différents modes de lecture par lesquels il s’approprie progressivement (ou non) les contenus :
• La lecture globale, ou survol au feuilletage : une, rubriques, titraille, illustrations, signatures, rendez-vous (dessin, chroniques…),
• La lecture zapping : rubriques, titraille, chapeaux et intertitres, photos et légendes, les outils type encadrés,
• La lecture linéaire, du début à la fin du texte : incidence de la typographie, enchaînement logique et taille des colonnes.
• Face à ces différents modes de lecture, nous avons l’habitude d’examiner la conception d’une maquette sous deux axes : lecture horizontale, lecture verticale.
Mais avant toute chose, les choix typographiques qui ont une importance… capitale.
La typographie et ses règles : l’essence de la lisibilité
L’art de la lecture est d’abord lié à la forme. La typographie, c’est-à-dire concevoir et fabriquer les textes, influence directement la rapidité d’acquisition du lecteur.
• Choix des typographies : des familles de caractères différentes pour les titres (bâtons, avec taille et graisse en rapport avec leur fonction d’appel) et les textes (elzévir, ou à empattement, plus lisibles) ;
• Taille et type des caractères : en dessous du corps 9, tout caractère est difficile à lire ; les minuscules se lisent mieux que les capitales, des lettrines, ou des signes en début de paragraphe (flèches, puces…), accusent le départ et accélèrent le repérage ;
• Les niveaux de titres : un sous-titre bien mis en valeur met le lecteur en appétit… de même que de nombreux intertitres l’aident à avancer ;
• Les lignes creuses augmentent le taux de lecture, sauf en bas de colonne où elles soulignent l’arrêt ;
• La largeur des colonnes influence directement la vitesse de lecture (en deçà de 3,6 cm et au-delà de 16,7 cm, on lit moins vite…).
Vive la hiérarchie : pourquoi hiérarchiser l’information ?
Toute information doit être identifiée par son importance hiérarchique, c’est-à-dire :
• Un emplacement dans le déroulé du journal,
• Un format de traitement, rédactionnel et graphique,
• Une surface dans la page, en nombre de colonnes et en hauteur modulaire.
Ceci conduit à définir le statut hiérarchique de chaque information. Avant d’écrire, chacun doit savoir où il va écrire dans une construction donnée par chaque page, déterminant des règles de présentation inamovibles.
• Alterner les angles de traitement rédactionnel, afin de conserver l’intérêt du lecteur.
• Rythmer un journal avec des repères de lecture horizontaux forts : les pages d’ouverture de séquence, surmontées d’informations en balcon, y contribuent.
• Penser aux vertus de l’information par l’image car, avec les titres, les images et leur légende sont les premières informations perçues par le lecteur.
Améliorer la lecture horizontale par une navigation claire, agréable et rythmée
• Clarté : rendre accessible les contenus en soulignant l’architecture du journal (sommaire et rubriques,mini-sommaires en ouverture de section, signalisation des rendez-vous). L’utilisation de la couleur a aussi son rôle (différenciation des rubriques, fond de pages).
• Agrément : prodiguer un confort visuel par la gestion des blancs, les choix typo, l’utilisation de la couleur pour typer de pages, une gestion harmonieuse des publicités (pas de confusion avec les rédactionnels, définir une grille modulaire commune avec les rédactionnels), la création de circuits visuels simples à l’intérieur des pages.
• Rythme : gérer l’ordre d’apparition des différents types de sujets pour créer des changements de vitesse dans la lecture et réactiver l’attention : éviter l’effet tunnel par des changements de colonnages, des variations de systèmes d’ouvertures de section.
• Les 2 H : faire côtoyer l’horrible et l’heureux sur un même page = expression de la vie, de ses hauts et de ses bas. De même pour l’information, chaude ou froide : mixez les deux, et vous aurez des lecteurs heureux…
Améliorer la lecture verticale : travailler les niveaux d’appel
• Lecture verticale efficace signifie également, outre des choix typographiques installant un vrai confort de lecture, une organisation hiérarchique des éléments dans la page, un vrai travail sur les différents niveaux d’appel :
• Étagement de la taille des titrailles, modes de traitements variés et identifiés(impact et style des titres, surtitres et chapeaux, intertitres)…,
• Choix dans le calibrage et l’ordonnancement papiers (leaders/sous leaders),
• Gestion de l’image (choisir plutôt une grande et une petite que deux moyennes),
• Colonnage structuré (filets/pas filets ?), une grille souple et un système modulaire,
• Outils / clés de lecture (chiffres clés, relance, baromètre, agenda, brèves…),
• Outils correspondant à la culture (télé)visuelle des lecteurs (pictos, infographies),
• Utilisation de la couleur (soutien aux photos, repérage des outils).
Tous ces éléments contribuent, comme dirait Edgar Morin, à un principe de “récursion organisationnelle” : dans une page où les éléments d’information sont éclatés, chacun doit accrocher le regard, permettre un choix de lecture, donner envie de lire l’article, mais aussi contribuer à l’identité du média, à structurer la page…
L’objet, l’identité… et une certaine “divine folie”
L’efficacité d’un journal résulte aussi de considérations liées à l’objet : format, pagination, présence de suppléments, rapport texte/image global. Une réflexion : Le format tabloïd est tendance… car efficace – prise en main pratique, adaptée à des lecteurs urbains (métro, bus, train…), et propice à une gestion modulaire des traitements et des problèmes de rythmes (lectures horizontale et verticale). Une question : quelle identité graphique pour quel lectorat ?
• Quotidien régional (ex La Montagne) : promouvoir une info locale vivante (politique de l’image, légendes, outils) et mise en perspective (du local au global) ;
• Bimestriel (Senso, L’Amateur…) : plus de photos, plus de blanc (élégance, confort) ;
• Féminin/Luxe (Série Limitée, Elle déco) : moins de surcharge graphique et typo, gestion de l’image : une vraie tension entre visuels et publicité, une vraie gestion des formats photo, simplicité et logique d’accès à l’information essentielle.
Des surprises graphiques efficaces (cf relookage de Libération) : navigation et gestion de l’image améliorées + une typo script ludique, fidèle à l’esprit du titre… Pour que le lecteur continue à trouver des surprises au fil des pages, mais aussi les trouve plus vite…
La maquette dans le temps : méthode et confiance
Retouche/refonte graphique, les effets de mode et la méthode : la refonte d’une maquette est régulièrement nécessaire. Mais c’est un travail qui s’inscrit dans le dialogue, dans une relation globale.
• Le véritable talent d’un “art editor”, comme disent les Anglo-Saxons, est de faire de l’information, pas de l’art.
• Vendre un journal dont la forme graphique serait rénovée mais dont les contenus n’auraient pas évolué, revient à dire à l’acheteur d’une voiture neuve que sous la nouvelle carrosserie se cache le moteur de son ancien véhicule.
• De la pérennité de l’imprimé : Roger Black, designer américain, a récemment souligné que si le papier continue à savoir raconter des histoires de manière efficace, il n’a pas de raison de s’inquiéter pour sa survie. Simplement, il faut être visuel et narratif : les jeunes, vos lecteurs de demain ont grandi avec la télévision. Et il faut pister les nouveaux comportements : sous l’influence d’internet, on remarque plus de textes courts, de renvois à des références, de petits encadrés, voire une baisse des tailles de caractères, l’utilisation fréquente des caractères bâton (type Verdana) mais aussi la création de nouveaux modes de navigation (passerelles vers le web, la télé…).